Cocagne en visite dans un territoire zéro chômeurs

Visite d’une délégation du réseau Cocagne le 31 octobre 2018 sur le territoire Zéro chômeurs de longue durée du Pays de Colombey et du sud Toulois

« La destruction de la notion de privation d’emploi, ce qui est fort pour moi » précise Guirec Kerambrun, chargé du développement et partenariat du territoire zéro chômeur du Pays de Colombey et du Sud Toulois en Meurthe-et-Moselle. Nous voilà buvant un café fort à l’étage de cet entrepôt où s’active le matin les salariés de l’entreprise à but d’emploi de « la Fabrique » en plein milieu rural. Une introduction résolument militante de la part d’un « pur produit de l’IAE » passé 10 ans à Envie, définit par un métier de développeur économique et social de territoire.

« On est parti des besoins du territoire et des ressources, ce qui est utile, pas concurrentiel, qui ne gêne personne, quelque chose de nouveau, on le fait. Il ne s’agit pas de tout réinventer, Cocagne, Emmaüs… ce qu’on fait est très classique pour le monde de l’IAE ».

Dans ce territoire marqué de l’empreinte de Michel Dinet, précurseur du développement local, Philippe Parmentier, président de la com com a interpellé les élus locaux dès 2014 sur ce projet initié par ATD Quart Monde. Ils ont été moteurs pour obtenir la loi en février 2016. Le défi est ambitieux puisque l’expérimentation annonce 500 personnes potentiellement éligibles et mobilisables. Aujourd’hui, 161 privés d’emploi ont été rencontrés, 67 embauchés (55%) et 59 volontaires en attentes d’un projet à concrétiser dans le cadre de l’EBE.

L’aventure entrepreneuriale se présente comme telle. De 9 personnes en janvier 2017, La Fabrique qui se caractérise par sa multi activités compte plus d’une soixantaine de salariés aujourd’hui. Puis une deuxième entreprise à but d’emploi a vu le jour en 2018 sous forme de Société Coopérative d’Interêt Collectif : De Laine en Rêves qui fabrique des produits de literie en rachetant  la laine de 13 éleveurs lorrains coopérateurs. Résultat : 6 emplois créés !

On rappelle ici que les 18K€ de « contribution à l’emploi » par poste créé représentent 101% du SMIC. Il est prévu que la contribution de l’Etat intervienne dans  une fourchette entre 55 et 113% du SMIC dans une logique de transférabilité des coûts (et non de subvention ad hoc). Depuis 2017, le Conseil départemental a identifié ces coûts « transférables » (allocations RSA principalement) et contribue ainsi à la logique de l’activation des dépenses passives. Le fonds national TZCLD est là pour chercher des contributions complémentaires pour mettre au pot commun (allocations diverses et variées impactées par la reprise d’activité, évaluation des cotisations payées...)

Concrètement, il faut boucler un budget pour l’ensemble des postes mutualisés compte tenu de leur « commercialité » différente. Aurélie MATHELIN, cheffe de projet de l’expérimentation TZCLD en Pays de Colombey, nous donne l’exemple de l’engagement de trois personnes dans un EPHAD pour animer les repas collectifs, une prestation d’utilité sociale facturée entre 6 et 8 euros de l’heure (en complément de prix à la contribution à l’emploi du poste) contre 16 à 18€ de l’heure pour une prestation « de marché » par exemple en sous-traitance de nettoyage. Le coût de l’emploi supplémentaire s’élève aux environs de 26K€ pour l’EBE, avec les 18K€ de la contribution de l’Etat via le fonds national ETCLD, vient ensuite celles du Conseil Départemental, du CA créé et autres subventions. Rien de nouveau en effet pour l’IAE, en particulier les ACI.

Gérard ORY, salarié de l’EBE, agriculteur et militant de la première heure du projet, conteste pour autant cette vision d’un énième chantier d’insertion, jugé certainement stigmatisant au regard de leur démarche : « On n’est pas dans une IAE, passer d’une EBE au jardin de Cocagne ? oui pourquoi pas si c’est pour encadrer après une formation… ici les gens sont capables et compétents, ils ont juste eu des problèmes liés au chômage et donc à des difficultés financières et puis dans ce projet, les salariés sont embauchés en CDI au SMIC à temps choisi. »

Jean-Michel LIBION, autre salarié, précise : « on a une réunion de mobilisation les 3ème jeudis du mois dans un des 38 villages de la communauté de communes, on dit que tout le monde est employable, ensuite des ateliers sont montés sur les travaux utiles au territoire et qui ne détruisent pas d’emplois existants, vient ensuite une heure d’entretien avec les personnes pour se regarder autrement, ensuite 10 jours après, ils viennent nous faire des propositions. » Aurélie ajoute : « le principe du dévoilement a besoin de temps ». Jean-Michel  illustre : « on met les personnes au premier plan. Je peux donner l’exemple de cette mère au foyer qui pense qu’elle ne sait rien faire alors qu’elle adore mettre les gens en action ; elle créé ce lien social en travaillant pour des personnes âgées, elle fait avec les personnes une tarte, le jardin… », Aurélie va plus loin et rappelle : «  on pense à une conciergerie rurale avec une équipe d’animateur-trice de lien social, pour autant on rappelle qu’on est un plan B, on le dit, il faut qu’ils continuent de faire leur démarche de recherche d’emploi classique, de saisir les opportunités qui se présentent à eux, les missions d’intérim…Les activités peuvent demander du temps avant de se mettre en place ; cette idée de conciergerie va passer à la commission « émergence » du comité local pour pré-validation sur la non concurrence, définir les moyens nécessaires et les recherches de financements à la mise en œuvre de l’activité (ici : ordinateur, véhicule, téléphone..),et préparer l’organisation du travail sur 35h/hebdo ? »

Beaucoup de monde vient à cette commission, preuve de la « vigilance » des acteurs mais aussi de leur intérêt pour la démarche interstitielle de découverte des emplois d’utilité sociale du territoire. Quid du sujet de la production maraichère ?

Sur les 10 sites d’expérimentation, 5 sont urbains et 5 ruraux. 5 sur 10 font déjà du maraichage mais tous veulent en faire car « on a envie de manger bien et bio » rappelle Gérard. Un projet de création d’une conserverie - Entreprise à But d’emploi sous forme de SCIC pourrait également voir le jour en lien avec l’activité maraichage de la Fabrique et des maraichers locaux. Un travail avec la Chambre d’agriculture est engagé autour de cette idée, la première rencontre avec les maraichers et arboriculteurs a confirmé le besoin de valoriser les productions et ainsi créer de la valeur ajoutée. Ce projet est notamment suivi par Gérard, agriculteur en activité depuis 1978, il a déjà monté une petite structure de transformation fromagère pour poursuivre son activité avec 50 hectares, il a mis en route ce circuit-court avec d’autres agriculteurs. Converti au bio en 2012, il prend de plein fouet le report des aides depuis 3 ans maintenant, « je suis à l’EBE car je ne pourrais pas assurer la viabilité financière de mon exploitation, ces 26 heures semaine qui me sauve, je peux aussi transférer ma compétence, mon matériel et trouver des terrains ! »

 A ¾ d’heure du Jardin de Cocagne de Malzeville, cette perspective d’une production de légumes bio de plein champ sur les terres de Gérard ne laisse pas indifférent le directeur présent lors de la visite. Il y a là des synergies à trouver comme on dit, en termes de pertinence de production (Guirec rappelle : « on a planté des potirons la première année, tout le monde en avait dans cette zone rurale d’auto-production ! »), d’échanges de compétences pour un modèle commercial forcément différent.

Rendez-vous est pris.

pour aller plus loin: https://www.tzcld.fr/la-fabrique-entreprise-faconnee-par-ses-salaries/