6. Accueillir des migrants au sein des jardins de Cocagne ?  

Problématique : les migrants ne peuvent être accueillis qu’après obtention de leur carte de séjour, mais que pourrait-il leur être proposé avant ? Comment peut-on envisager leur intégration dans le milieu rural ?

Lucile, JRS France

 Présentation de l’association

 
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  • Mission : accompagnement et défense des réfugiés et déplacés de force ;
  • Association créée en 1980 et présente dans de nombreux pays. Créée en France en 2007 autour du programme Welcome : présent dans 48 villes, expérience d’accueil et d’hospitalité pour les personnes en demande d’asile (pour des personnes non accueillies dans les dispositifs publics). Accompagnement global, en fonction des besoins du public (juridique, français, insertion, plaidoyer, partage d’expérience et d’activités entre migrants et français etc.).
  • Dans le cadre de ce programme, constat que de nombreuses personnes avaient la volonté de poursuivre l’activité agricole qu’ils avaient pratiquée dans leur pays, et ne souhaitaient pour la plupart ne pas rester en ville ;
  • En parallèle, des personnes issues de la ville sont placées en CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile) en zone rurale. Beaucoup ne supportent pas ce déplacement, pas du tout adapté à leur profil et à leurs envies, et certains préfèrent retourner à Paris, quitte à perdre leurs droits.
  • Constat général de la très faible voire inexistante prise en compte des profils des personnes dans les orientations qui sont faites.

 

Leurs objectifs :

  • Créer un nouveau programme pour répondre à ces problématiques, en tentant de mieux articuler les programmes existants ;
  • Faire sortir les réfugiés des grandes villes où les dispositifs sont saturés, le logement en tension, avec des secteurs souvent peu adaptés aux compétences de ces personnes ;
  • Etre attentif aux désirs des personnes : développement de woofing, chantiers participatifs, etc. Pour éviter l’orientation forcée de personnes et leur permettre de faire des phases test pour vérifier qu’une orientation en milieu rural leur serait adaptée ;
  • Accompagner les défis spécifiques : frein autour de la langue, de la dynamique sociale (difficulté à créer du lien avec les français)

Quel lien avec les structures Cocagne ?

  • Accompagnement juridique des Jardins accueillant des migrants ;
  • Création d’outils FLE communs ;
  • Outils pour la valorisation des savoir-faire de ces personnes pour qu’elles puissent partager leur culture et regagner confiance en elles.

 

Clémence, co-fondatrice de la Terre en partage

Projet né il y a un peu plus de 2 ans, alors que les deux fondateurs étaient bénévoles sur un grand camp de migrants à Boulogne-Billancourt. Ils ont eu envie de créer un projet qui irait au-delà de la gestion des urgences et lutterait contre le gâchis que représente le parcours de demande d’asile : 2 ans d’attente très destructeurs qui sape le dynamisme des personnes. Ce qui leur semblait manquer : un hébergement digne, de la formation (organismes également saturés), l’activité et la création de liens sociaux.

Terre en partage ouvrira au printemps 2018 près de Limoges, dans le Limousin sous le statut d’OACAS (Organisme d’accueil communautaire et d’activité solidaire : agrément des communautés Emmaüs, qui permet aux personnes d’être hébergées, de suivre une formation, d’avoir une activité solidaire).

Terre en partage : 3 activités

  • lieu de vie participatif (gestion collective du lieu par les résidents) avec une communauté la plus ouverte possible (avec notamment des chambres d’amis pour accueillir les visiteurs),
  • un pôle de formation (FLE, savoirs de base professionnels : la cible du projet est un public peu scolarisé). Il ne s’agit pas d’un apprentissage scolaire, mais de formation en situation d’activité avec des outils spécifiques développés. Le lieu de vie et l’activité seront des supports de formation.
  • 3ème pôle : l’activité solidaire dont le support sera une activité de maraîchage bio en permaculture, avec vocation vivrière et commerciale (mais seulement pour autofinancer le lieu). Support prétexte pour reprendre un rythme, dimension thérapeutique, support de formation intéressant. Le projet doit permettre de revaloriser des savoir-faire qu’ils ont déjà.

Plusieurs pistes de réflexion :

  • Quels outils seraient adaptés à ce type de public ?
  • Quelle continuité pourrait être envisagée ? Suite à leur période chez Terre en Partage, certains pourraient poursuivre en ACI, ou s’installer en microferme, etc.

Réactions des Jardins participants

Jardin de Leffrincoucke 

  • Les personnes accueillies ont déjà le statut de réfugié, ce frein est déjà levé. Nous faisons partie d’une grosse association, l’Afeji, qui fait de l’hébergement d’urgence. Beaucoup de bénévoles et de permanents géraient le camp de Grandes Saintes, mais on était dans l’incapacité d’accueillir les personnes vivant sur le camp.
  • Sur le jardin, problématique de la langue : cours de français en partenariat (maîtrise des savoirs de base) ;
  • Des profils très différents, beaucoup de compétences, beaucoup d’entre eux arrivent à rebondir très vite (ont souvent plus de compétences que les personnes que l’on accueille habituellement).

Jardin de Thaon-les-Vosges

  • Accueil de la première personne réfugiée par un collectif d’ami qui a proposé de la faire travailler sur le jardin comme bénévole (3 à 4 jours/semaine), jusqu’à l’obtention de son permis de séjour. A ensuite été embauché comme salarié, et a pu rebondir très vite. Salariat déguisé ? On n’a pas eu de soucis… Ça lui a permis d’apprendre la langue ;
  • Depuis, on accueille des personnes avec titre de séjour : 10 nationalités sur le jardin, avec problématique de la langue : peu d’outils mis en place, certains ne savent même pas dire « bonjour » ;
  • Distribution de paniers solidaires à 5 familles suivies par une association qui accompagne un public migrant ;
  • Travail à faire avec Terre et partage, pourrait être intéressant.

Association Le relais

  • Beaucoup de migrants, essentiellement des Soudanais, arrivent à Bourges et postulent en ACI. Postulent dans les jardins car c’est ce qu’ils faisaient dans leur pays.
  • 80% de nos salariés sont des migrants
  • Très bonne volonté, gros besoin de reprendre confiance en eux. Mettent les écouteurs pour travailler, pour apprendre le français. Souvent, au bout de six mois sur le jardin, ils parlent très bien le français.
  • Par contre, compliqué dans la relation aux entreprises, car difficile de les orienter.

Jardin de l’Aspire

  • Accueil de plus en plus de personnes migrantes. Grosse problématique de la langue, souvent encore difficile même au bout de 2 ans. Passent beaucoup de temps entre eux pendant ces 2 ans, en communauté.
  • Travail en partenariat avec une association qui leur permet de travailler leurs compétences rédactionnelles.
  • Des bénévoles les aidaient à travailler l’oral, mais essoufflement, il n’y en a plus aujourd’hui.
  • Beaucoup d’outils de formation interne au jardin, mais discriminant car peu accessibles à ce public.

Jardin Icare

  • Les migrants : pluralité de situations
  • Expérience intéressante : centre de formation professionnelle pour adultes qui accompagnaient des personnes en demande d’asile, et sont venues en stage sur le jardin.
  • Autre expérience : avec un CADA, qui a permis à des personnes d’avoir un peu d’activité en venant chez nous, mais grande exigence pour que ça ne soit pas du travail déguisé. Ils repartaient avec des légumes.

Jardin d’Etainhus

  • Utilise beaucoup les pictogrammes pour la connaissance des lieux, des légumes, etc.
  • Ce qui va leur permettre de trouver des solutions à la sortie, c’est le fait d’avoir valorisé leurs compétences.

Jardin de Limon

Avant d’envisager la sortie, comment aide-t-on les personnes à se stabiliser ? Car de nombreuses personnes perdent espoir à cause des blocages administratifs, et préfèrent parfois retourner en camp. Beaucoup de fatigue, stress, énervement, et malgré les nombreuses compétences, parfois en agriculture, cette fatigue les empêche de s’en sortir.

Tout dépend du niveau de français, des compétences et des liens établis avec la société française. Par exemple, problématique lorsque les personnes ne parlent pas français sur le jardin. Décalages entre personnes qui ont des compétences très développées, et d’autres personnes françaises de souche qui ont beaucoup moins de compétences, beaucoup plus de difficultés (autres que le droit d’asile). Une fois le frein de la langue et de la demande d’asile levés, ce public se situe tout de suite beaucoup plus proche de l’emploi que les autres personnes.

Jardin du pays de Vichy-Auvergne

  • 1/3 des salariés est migrant ;
  • Ont été contactés par un regroupement de particuliers qui proposaient un jardin mis à disposition pour les migrants : production de leurs légumes. Ont sollicité le jardin pour la compétence d’encadrement technique ; certaines personnes ont pu depuis être intégrés au jardin (gros travail de réseautage) ;
  • Gros problème de FLE : grande motivation à apprendre et à s’insérer. Ont réussi, avec le FAFSEA, à mettre en place un dispositif financé sur 9 mois, pour 7 personnes en CDI, 9h de FLE (a commencé hier). Ils font aussi de la culture, de la géographie, de l’histoire, de l’administratif. Essentiel. Correspond à un accompagnement de 4000€/parcours ;
  • A terme, espèrent réussir à faire des immersions pour ces personnes.

Jardin de Moirans

  • Compliqué pour les encadrants de suivre ce public lorsqu’ils sont trop nombreux ;
  • Font cela depuis 2 ans avec le FAFSEA : session de 70 heures, sur le jardin.
  • Demandes de migrants sans papier qui cherchent une activité : les bénévoles « papy bricoleurs » (menés par Denis) ont intégré ces personnes dans l’équipe pour faire des petits travaux : problème d’assiduité, on ne sait jamais qui va venir. Ont essayé de cadrer : le mercredi matin, sur une activité qui n’est pas le maraîchage. Se demande aujourd’hui s’ils peuvent faire plus, ou mieux…

Jardin de Planaise

  • 25% de public d’origine étrangère. Puissance de travail phénoménale ;
  • La mixité ne peut être que bénéfique pour tout le monde ;
  • Souhaiteraient que le FLE puisse être appliqué au maraîchage, car très difficile de faire passer les consignes de travail et de sécurité. Et très compliqué de tous les faire partir en formation ensemble.

Intervention : sur le FLE, il faut leur donner tous les documents techniques liés à l’activité pour que les salariés s’entraînent dessus pendant leurs cours, par l’intermédiaires des formateurs FLE. Mélanger maths et français peut aussi être très intéressant.

 

Synthèse

  • Les jeunes qui arrivent sont extrêmement motivés et plein de volonté, mais à la condition sinequanone qu’ils aient commencé à travailler très vite pour ne pas perdre leur énergie d’apprentissage ;
  • Impossibilité de recruter des personnes sans statut : bénévoles 4 jours/semaine, risque avec l’inspection du travail ;
  • Diversité de profils, rien est reproductible, mais beaucoup de compétences à valoriser, grand besoin de reprise de confiance, beaucoup ont tendance à se sous-valoriser ;
  • Difficulté d’apprentissage pour les jeunes non scolarisés.
  • Apprentissage de la langue : les bénévoles s’essoufflent, n’ont pas forcément les bons outils, etc. Indispensable d’adapter les supports de formation FLE pour qu’ils soient en rapport avec le support de travail.

 

Que peut-on imaginer pour qu’à la sortie du jardin, ces personnes puissent trouver une place en milieu rural ?

  • Créer du lien avec les entreprises et les réseaux bénévoles pour qu’ils mettent en place des actions spécifiques (par exemple des parrainages) pour ce public, qu’ils appuient des personnes de manière régulière. Ainsi, à leur sortie, ces personnes relais pourraient faciliter leur intégration ;
  • Beaucoup d’entreprises et fondations sont impliquées sur cette question, par exemple la fondation Carrefour : développement de passerelles-emploi classiques, etc. Au niveau du Réseau, sera possible d’intégrer cette réflexion dans nos démarches sur les partenariats ;
  • L’OACAS permet d’indemniser les personnes, mais impossible de demander de l’argent pour le faire, cela doit être autofinancé. Statut très récent (2010, réservé à l’époque aux communautés Emmaüs), donc dispositif à éplucher : est-il possible d’être OACAS et ACI sous la même structure ?
  • Envie qu’un groupe soit constitué pour continuer à approfondir ces questions, avec un accompagnement du RC.